Ismaïl et les autres

Un soir de l’été 2018, dans le nord-est de l’Italie, un jeune pakistanais est retrouvé presque inanimé sur le bord d’une route en rase campagne. Il est dans un sale état, couvert d’hématomes, les mains liées derrière le dos. Une fois en état de s’exprimer, l’homme déclare aux policiers qui l’ont secouru qu’il est employé – tout comme une trentaine de ses compatriotes – d’une coopérative de services, sous-traitante d’une imprimerie industrielle. Dans l’entreprise, il est soumis à des tours massacrants de douze heures, sept jours sur sept, sans avoir droit ni à des journées de repos ni à des congés payés. Le tout pour un salaire de cinq euros de l’heure. Ayant tenté de s’opposer à ces abus, le jeune homme a été séquestré par les nervis de son employeur, menacé, roué de coups et abandonné à des kilomètres de son domicile. Venus à connaissance de cet épisode, des syndicalistes s’emparent de l’affaire et mettent à nu un réseau de recrutement et d’exploitation illégaux de main-d’œuvre, qui profite de la connivence de ses respectables bénéficiaires finaux.

Dans Ismaïl et les autres, Paolo De Marchi et Giuseppe Zambon retracent le combat de ces travailleurs immigrés pour recouvrer leurs droits et leur dignité. Les deux auteurs dissèquent, en même temps, les mécanismes d’une forme d’esclavage moderne qui est désormais intégrée, dans tous les pays d’Europe, à des pans entiers de l’économie et dont les travailleurs migrants, légaux comme illégaux, sont les principales victimes. Né dans la lutte, de l’engagement des deux auteurs comme syndicalistes aux côtés des travailleurs pakistanais exploités, Ismaïl et les autres est un remarquable exemple d’histoire « d’en bas », chère à Berthold Brecht.